Plaine de Nay, la liberté en bande organisée

Entre Baliros et Lestelle-Betharram, le paysage de la rive gauche du gave de Pau a miraculeusement échappé à l’urbanisation à outrance. Des prairies, des cultures, des canaux, la saligue et le gave composent le décor de la Véloroute du Piémont pyrénéen.

Baliros, Pardies-Piétat, Saint-Abit, Arros-de-Nay, Bourdettes, vus depuis la départementale ces villages de la plaine de Nay font un peu grise mine. Les hauts murs et les lourds portails, le crépi qui a figé le décor tel la cendre d’un volcan y sont pour quelque chose. Heureusement il y a la voie verte, officiellement la Véloroute du Piémont pyrénéen (V81). Ici, en deuxième rideau, les villages offrent un penchant beaucoup plus amène. Toute une famille vestimentaire sèche dans un jardin, les tracteurs tondeuses demi-tournent nerveusement sur eux-mêmes, les cours de fermes ont leurs chiens avachis sur le flanc, qui nous observent le regard à 45°.

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Des hectares de garde-manger

À Baliros, on laisse derrière nous des jeunes en skateboard pour filer tranquillou à travers champs. En queue de comète des terres fertiles de Meillon et d’Assat, on trouve ici encore un peu de maraîchage puis du blé, du colza, du maïs et enfin cette question, où sont passées les vaches ? Les piguettes, il y a longtemps qu’elles ont cessé de paître, remisées au profit des laits végétaux. En Nouvelle-Aquitaine, la collecte de lait de vache baisse au rythme impressionnant de 7 % par an. Et les autres ? Les bovins viande comme on dit dans le métier, où sont-ils passés ?

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Les riverains à quatre pattes de la voie verte apportent un début de réponse. Chevaux, ânes, chèvres et brebis fournissent le gros des troupes. La portion congrue revient aux vaches. Néanmoins, tout le charme de cette rive gauche du Gave de Pau est là. Beaucoup moins urbanisée et monoculturée que la vallée du Lagoin de l’autre côté, elle procure immédiatement aux flâneurs un sentiment de liberté. Ces terres autrefois presque entièrement dédiées au pâturage des animaux ouvrent en grand l’espace prépyrénéen.

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Un réseau de canaux unique en Béarn

La tentation maintenant est de s’écarter de la jolie bande bitumineuse pour approcher le gave. À Boeil-Bezing, toujours côté rive gauche, une mono trace dans la saligue conduit en effet à une grande plage de galets. « Il y en a même qui se foutent à poil » nous confie un gamin tout émoustillé. C’est Huckleberry Finn. Chaque fois qu’un chemin déborde de la voie verte, c’est pour s’enfoncer dans cette forêt inondable, classée Natura 2000 et dominée par les saules et les peupliers.

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Ou bien pour parcourir les « cardèdes » ces terres agricoles maillées par un remarquable réseau hydrographique de canaux, de petits barrages et de dérivations. Un patrimoine exceptionnel, unique en Béarn, qu’une poignée de passionnés s’évertuent à maintenir debout. « Ces infrastructures ont été créées par le baron d’Espalungue en 1863. Elles permettaient d’irriguer les prairies par immersion » explique Vincent Pétroix. Cet agriculteur d’Arros-de-Nay est le propriétaire de la cabane Ladebat qui date de cette époque. Il l’a restaurée par passion et la laisse ouverte aux promeneurs. Il est le seul a utilisé encore aujourd’hui le canal d’Espalungue pour irriguer ses prairies.

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Vincent Pétroix, agriculteur, restaure le patrimoine local
« METTRE TOUT CE PATRIMOINE PAR TERRE AU MOTIF QU’IL ENTREVERAIT L’AGRICULTURE EST UNE ABERRATION »

Qu’est-ce qui vous passionne dans ce petit patrimoine encore visible le long de la voie verte ?
C’est qu’il a beau daté de la seconde moitié du XIXe siècle, il est encore fonctionnel aujourd’hui. Il a été pensé pour l’irrigation des prairies grâce aux canaux, aux écluses, aux fossés, aux mur en galets. Tout est toujours arrosable aujourd’hui et ça ne coûte strictement rien, c’est un droit perpétuel. Je n’emploie aucun engrais chimique sur mes prairies alors en inondant les terres cela permet aussi de recharger les nappes. C’était aussi prévu pour ça à l’époque et l’eau remontait également le niveau des puits dans les fermes.

La carrière de la discorde

Le moulin d’Espalungue, en ruine attend encore de se relever. Un jour peut-être. En attendant, la pierre servant à moudre le grain est toujours visible au fond de l’eau. Il y avait aussi à cet endroit un pigeonnier et un foulon où la laine était décrassée. Bien qu’abandonné, le moulin de l’Escourre à Pardies-Piétat est encore debout.

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À Pardies-Piétat, toujours un grand lavoir a été extirpé des ronces par des membres du conseil municipal avec le concours de la Communauté de communes du Pays de Nay. Ce patrimoine hydrographique rural, a profité au XIXe siècle de l’essor des carrières d’Arros. On reconnaît ici ou là les labasses, ces grosses pierres de construction qui jadis donnèrent du travail aux villageois de la plaine de Nay alors que l’activité textile amorçait son déclin.

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À Arros, le quartier des Labassères tire son nom de cette activité. Ces dernières années, c’est une autre carrière qui fait parler d’elle. À Bourdettes, la société Dragages du Pont de Lescar, filiale du groupe Daniel, porte un projet de carrière à ciel ouvert de matériaux alluvionnaires. Le groupe entend poursuivre l’exploitation de sa carrière de Baudreix, mais cette fois-ci sur la rive gauche du gave de Pau. Le projet, combattu par l’association Préservons la plaine de Nay et par la Sepanso a reçu en 2023 l’aval du tribunal administratif de Pau. Les opposants redoutent le grignotage de 18 % des terres agricoles de Bourdettes et la mise à mal de la zone Natura 2000 du gave avec les dégâts attendus sur la faune et la flore.

La véloroute en voit de toutes les couleurs

Retournons à présent sur la véloroute où la biodiversité est au moins aussi abondante que dans les paysages alentour. Quelques échassiers en tenue de ville et gilet fluo vont et viennent entre leur bercail et l’usine Safran de Bordes, qu’on appelle encore « Turbo ». Les retraités savourent la liberté retrouvée et les kilomètres avalés sans mal grâce à l’assistance électrique. Faudrait pas se faire péter une varice. À Saint-Abit, un drôle d’attelage nous dépasse. Un toutou dans sa remorque se fait tracter par sa propriétaire.

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Des cyclistes couverts de tissu micro perforé chatoyant s’égarent sur la toute petite route. Comme le pays est joli, on fait une pause goûter, un pipi, un selfie. Plus sobres, les Vttistes affectionnent les couleurs foncées. L’air grave, ils filent se couvrir de boue et peut-être d’honneur. Les locaux quant à eux arpentent la voie verte à pied pour promener le chien ou les petits-enfants.

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À Nay, sur l’eau ou dans l’art

Arrivée à Nay, la voie verte longe le canal de la Gaou puis oblique à droite sur le pont de Claracq pour filer le long du gave en empruntant maintenant la rive droite. Il y a des haltes possibles, profitons-en. D’abord à l’atelier de fabrication de chaussures Le Soulor 1925. Ici est conservée une technique de couture devenue rare, le cousu norvégien, encore employé par quelques bottiers haut de gamme et des maisons comme Hardrige et Paraboot. Un peu plus loin, arrêt à l’Uscn Canoë-Kayak dont le club house est sur le chemin. Tous les après-midi de l’été, la base nautique propose des canoës-kayaks et paddles à la location. Pour cinq euros l’heure, on peut naviguer sur le gave ou remonter tranquillement le long du Béez. Le club propose aussi des stages découverte.

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Du bon poisson au Saint-Pierre

À deux pas de là c’est la Minoterie. Depuis 2000, l’immense bâtisse reconvertie en centre artistique accueille les coups de cœur du plasticien franco iranien Chahab et de l’association Nayart. Il s’y passe toujours quelque chose et près de 5 000 visiteurs annuels nourrissent ici leur curiosité pour les arts, au gré des trois à quatre expositions qui jalonnent la programmation. À suivre aussi, l’actualité estivale de la Maison Carrée. Pour déjeuner à Nay sans s’écarter de la véloroute, Le Saint-Pierre est un excellent resto de poisson le long du canal de la Gaou.

Lestelle-Bétharram via la passerelle de Baburet

La véloroute continue en direction de Lestelle-Bétharram via la passerelle de Baburet. Elle enjambe le gave de Pau au fond de la saligue de Nay pour rejoindre Igon. Achevée en 2015, la passerelle s’appuie sur les piliers de l’ancien pont de chemin de fer emprunté pour l’exploitation de la mine de fer de Baburet, dans la vallée de l’Ouzom.

On trace vers Lourdes et Argelès-Gazost

Lestelle-Bétharram constitue la dernière étape béarnaise de la Véloroute du Piémont pyrénéen. La bastide a vu son célèbre Calvaire, composé de 15 stations classées Monuments Historiques, entièrement restauré. 60 000 visiteurs fréquentent le site chaque année. La véloroute file ensuite vers Lourdes et Argeles-Gazost mais ça, on vous le garde au chaud pour une escapade en Bigorre. Bonne véloroute…