En Béarn, à deux pas d’Oloron, une balade à la portée de tous conduit à la croix d’Escou, monument singulier tant par son aspect que par son histoire agitée.
Bien connue des randonneurs qui empruntent ce chemin de crêtes au dessus d’Escou pour la vue splendide sur les contreforts pyrénéens, la croix d’Escou ne fait plus guère parler d’elle. Pourtant au début des années 1970, elle va défrayer la chronique de ce petit coin paisible du Béarn. Le monument est l’œuvre de l’abbé Joseph Camblong. Ce prêtre quelque peu fantasque, érudit et entreprenant, exerce son ministère à Escou depuis 1929. Dans sa paroisse, il est aussi connu pour la qualité de ses sermons que son goût du bricolage et de la construction. Maçon, mécanicien, peintre, le prêtre touche à tout vous fait avec deux épaves, une voiture en état de rouler.
Il invente avant tout le monde les biocarburants. « Le doux entêté » tel était le surnom que lui avait donné Monseigneur Lacaste, évêque d’Oloron. « Il avait plus de 75 ans quand il a entrepris de repeindre le plafond de l’église. J’étais jeune maire, j’ai tenté de l’en dissuader, mais il n’y avait rien à faire. Il a fait une chute de 11 mètres suivie d’un mois en fauteuil » témoigne Jean Casabonne, maire d’Escou. Comme tout curé qui se respecte, l’abbé Camblong est soulagé dans son quotidien trépidant par les services d’une fidèle gouvernante, Suzanne Morvan. Peu avant la seconde guerre, celle-ci tombe gravement malade. Sur le champs le prêtre décrète le voyage à Lourdes. La gouvernante est miraculeusement tirée d’affaire le 11 février 1939. Comment remercier le ciel s’interroge l’abbé. L’ex-voto prendra la forme d’une croix. L’abbé coule lui-même le monument. Haute de 15 mètres, la croix est creuse et dotée d’un escalier qui permet d’accéder au sommet. À l’origine, la croix est vierge de toute inscription. Elle est érigée à Escou mais sur un emplacement différent du site actuel.
La croix déplacée à l’aide d’un diable géant
En effet en 1971, le terrain qui accueille l’oeuvre maîtresse de l’abbé, passe entre les mains d’un propriétaire privé qui n’a cure du monument. La dynamite menace l’ouvrage en béton armé. L’idée est insupportable à l’abbé Camblong. Il s’en ouvre au chanoine Biers, maire d’Ogeu. Homme de relations, ce dernier conseille le curé et lui laisse entrevoir que l’affaire peut être gagnée devant un tribunal. S’il le faut c’est le Conseil d’État qui sera saisi. « En 1976, l’abbé s’apprêtait à fêter son jubilé. Mon adjoint Firmin Carralot lui a demandé comment il allait marquer l’événement. L’abbé lui a répondu qu’il souhaitait déplacer la croix » se souvient le maire. La cause de l’abbé va mobiliser plusieurs bonnes volontés parmi les jeunes du village jusqu’à celle d’un diable, un outil de levage et de transport adapté aux dimensions du monument. La manœuvre fera un blessé léger.
Déplacée, la croix est scellée à l’emplacement d’un ancien dolmen. L’abbé Camblong voulait y voir la victoire du christianisme sur le paganisme. Pour marquer l’événement, le prêtre va orner la croix de l’ancien font baptismal de l’église. Il y rajoute la roue d’un ancien moulin, puis une charrue sur chaque côté et les inscriptions suivantes : Mourir = Maxi Preuve de l’Amour et les 4 V de Victoire, Voie, Vie, Vérité. À la fin des travaux, le curé émit le souhait d’installer une caravane pour vivre quelques temps au pied de la croix. Cette ultime facétie ne se réalisera finalement pas. « Toute cette histoire s’est produite alors que je venais tout juste de prendre mes fonctions. C’était difficile de refuser quelque chose à cet homme qui avait tant fait pour nous quand nous étions gamins. Et puis il avait son caractère » conclut Jean Casabonne. L’abbé Camblong est décédé en 1992. La croix est toujours là, un peu ébranlée par le temps. L’accès à l’escalier interne est fermé mais un randonneur du cru croisé ce jour-là se souvient. « On montait dans les branches de la croix pour se cacher et fumer nos cigarettes ».
Tout près de la croix, une table de pique-nique invite à casser la croûte devant un panorama pyrénéen parfaitement déroulé sous nos yeux.