Petite entorse au règlement, la rubrique A Table se passe à Londres dans le restaurant Le Chabanais ouvert par Iñaki Aizpitarte. En route pour Mayfair.
8 Mount Street, Mayfair. L’adresse est cossue. Le long du trottoir Bentley et Lamborghini sont à touche-touche. On a bien fait de venir en bus. Un peu de marche, du vent, de la pluie. Le bas de mon pantalon est mouillé. Avec Félicie, on se regarde. Sourire approbateur. Pas de gros dégâts, on peut entrer. Le doorman nous y invite.
Du sol au plafond, une armure de cuivre patiné donne à la grande pièce son style international élégant. Le mobilier Bassam Fellows est dans la même veine, distingué.
Nous voilà placés et de notre poste d’observation nous embrassons le rectangle de happy few. La carte est ramassée. Félicie opte pour le crabe de Cornouaille et sa gelée de bisque et shiso rouge. Pour moi, le maquereau de ligne, salicornes et jus de livèche. La chair si fine du crabe est un ravissement. Pour l’un comme pour l’autre, fraîcheur et énergie ont dominé ce début de repas.
Deuxième mouvement de la symphonie. Ris de veau, haricots verts et amandes pour Félicie. Pour moi, pintade sauce thai, et pommes de terre vitelotte. Pommes Darphin en accompagnement pour les deux.
Les ris fondent sous une fine panure. Rien à dire sur l’impression en bouche, mais un petit bémol quant à l’expression gustative un peu faible. La volaille légèrement rosée est savoureuse et l’accompagnement inédit pour moi. Tout compte fait, des plats sans surabondance d’effets où le produit n’est pas détrôné par l’artifice.
Dans nos verres, les Terres Jaunes de la Ferme Saint-Martin, (Grenache-Syrah) appellation Beaumes-de-Venise en vallée du Rhône se sont révélées un très bon choix. Un 2013 avec une belle profondeur, dynamique, mais facile à boire.
Les desserts achèvent un repas sans poudre aux yeux. Un Paris-Brest légèrement revisité et une mousse au chocolat dotée d’une fine lame de cristaux de sel. Intelligent et léger.
Revenue d’une pause, Félicie écarquille encore les yeux. Cette fois elle me parle de toilettes entièrement rouges et de troublants jeux de miroirs. Je vérifie, ce n’est pas le vin.
Allons voir ce qui se trame au sous-sol.
Le bar pardi! En fait, le pedigree du Chabanais se trouve dans ces quelques mètres carrés beaucoup plus feutrés. Le One Two Two, c’est son nom, propose une carte de cocktails directement inspirée de l’entre-deux-guerres. « A cette époque, la prohibition sévissait aux Etats-Unis. Londres et Paris sont devenues les deux capitales du cocktail. C’était aussi la grande époque du Chabanais à Paris, une maison close de luxe, fréquentée par la jet-set dont le roi Edouard VII auquel notre cocktail, le Bertie Champagne, fait allusion » explique Franck Audoux. Avec lui, les drinks sont en de bonnes mains. Ce fin connaisseur de la question est aussi intraitable sur la qualité du produit que ses collègues en cuisine à l’étage au-dessus. Entre autres, il n’emploie pas de glace mais uniquement des verres réfrigérés.
A noter qu’il est tout à fait possible de boire un verre au One Two Two indépendamment du restaurant.
Pour conclure, si les points de contacts avec la cuisine du Chateaubriand sont nombreux, les prix sont sensiblement plus élevés à Londres que dans le restaurant parisien ouvert par Iñaki Aizpitarte en 2006. 115 euros par personne pour notre soirée, vin et cocktails compris.