Le Moncaut, un petit bout de montagne situé à Louvie-Juzon suscite la convoitise. Il est composé de lherzolite, une roche dont l’industrie des carrières raffole. Ce dôme dégarni est posé au beau milieu d’un cirque verdoyant largement préservé. Mais pour combien de temps encore ?
Un petit chauve et trois grands frères
Au voisinage de la vallée d’Ossau, le cirque de Moncaut se fait plutôt discret. Trois pics, les Crêtes de Ciala (1400 m), le Durban (1700 m) et le Merdanson (1540m) dessinent le cirque situé sur la commune de Louvie-Juzon. A leur pied se dresse le Moncaut (prononcé Moncaout), un dôme culminant à tout juste 780 m, plutôt dégarni et sur lequel semblent veiller les trois grands frères. Ils ne sont pas les seuls à garder un œil sur lui. Une association de riverains, Les Amis de Moncaut, fourbit ses armes. En 2010 elle a levé un lièvre : un projet d’exploitation du site poussé par des industriels avec l’assentiment de la mairie de Bruges. L’objet de leur appétit se trouve dans le sous-sol de ce petit bout de montagne. Il s’agit de la lherzolite, une roche parmi les plus dures qui intéresse fortement l’entreprise Daniel.
Aujourd’hui, dans cet environnement naturel de moyenne montagne, cohabitent éleveurs, chasseurs, pisciculteurs et randonneurs. Mais pour combien de temps encore ? « Un permis d’exploiter signerait l’arrêt de mort du site et des activités pastorales et piscicoles qui n’ont pas besoin de ça » explique Philippe Osanz, membre de l’association.
Un cirque plein de vie
Avant d’aborder le péril qui menace le site, arrêtons-nous sur ce qui fait sa singularité. L’amphithéâtre de Moncaut est un milieu vert et humide très largement préservé. L’épaisse forêt entrecoupée de pâturages est parcourue par 30 kilomètres de filaments, de ruisselets et de ruisseaux. Tenu à l’écart de la surexploitation, le cirque peut donner la vie. Des plantes et des insectes en grande variété, des amphibiens, des oiseaux et des mammifères y sont bien établis.
L’homme aussi s’y est fait une place. Si la forêt de Moncaut est principalement composée de hêtres, il faut y voir la main des charbonniers. Jusqu’au début du XXème siècle, ils ont transformé ce bois en charbon. Aujourd’hui, l’ONF avec le concours des chasseurs et des éleveurs introduit d’autres espèces (érables, fruitiers…) et la faune locale apprécie. Elle est composée entre autres du pic à dos blanc, de la perdrix, de la chouette de tengmalm, un petit gabarit d’à peine 25 cm, du grand tétras ou bien encore de la bondrée apivore, un rapace qui se nourrit de larve d’abeilles.
Fleurs en abondance
En cheminant dans la forêt de Moncaut, on peut croiser le Lichen pulmonaire (Lobaria pulmonaria). Il faut alors s’arrêter pour respirer à plein poumon. Présent sur les troncs d’arbres, il est un excellent étalon de la qualité de l’air ambiant. A la moindre pollution, il est le premier touché. Comme tous les lichens, il résulte d’une symbiose entre un champignon et une algue. Les botanistes se frottent les mains. Parmi les espèces présentes dans le cirque ils relèvent : l’erodium de Manescau, la dent de chien, les scilles, la trompette de méduse, les jonquilles, la gentiane des marais. On trouve même une carnivore. La grassette à grandes fleurs dont les délicates fleurs violettes digèrent les insectes.
Au bord des petits cours d’eau, c’est la saison des amours pour le crapaud accoucheur qui porte sur son dos les œufs de la femelle jusqu’à leur éclosion. Avec un brin de patience, on peut s’accroupir et observer le calotriton des Pyrénées et quelques belles salamandres. Le fin réseau hydrographique contribue à la formation du Bazès. Ce sont ses premières eaux de montagne qui alimentent les bassins de la pisciculture « La Truite d’Ossau » située à Pédéhourat.
Lherzolite rare et chère
Au cœur du cirque de verdure, le dôme déplumé de Moncaut est parfaitement repérable. Pourquoi la végétation est-elle plus rare à cet endroit précis ? Le Moncaut, mont chauve en béarnais, est composé de lherzolite. Cette roche est assez rare à la surface de la terre mais elle constitue l’essentiel du manteau terrestre qui s’enfonce à 2800 km sous nos pieds. Elle n’offre qu’un sol pauvre en calcium, sodium et potassium. En revanche, sa densité et sa dureté en font un caillou très convoité des entreprises de granulat. Le long des Pyrénées on trouve une quarantaine de petits affleurements de lherzolite.
16 ans après avoir été révélé, le projet de carrière n’a pas avancé. Cependant, l’association Les Amis de Moncaut se refuse à parler de victoire. « Depuis le début, une convention lie l’entreprise Daniel et la mairie de Bruges. Tous les ans, la première verse 5 000 euros à la municipalité pour laisser la porte entrouverte. Si le feu devait passer au vert, Daniel serait prioritaire pour exploiter Moncaut. » poursuit Philippe Osanz.
Le salut par l’amiante ?
Oui mais voilà, le cirque de Moncaut est situé sur la commune de Louvie-Juzon, quartier de Pédéhourat. Bruges pour sa part fait valoir un droit d’exploitation acté au cours du XIXème siècle par la cour d’appel de Pau. Le conflit entre usage d’un côté et propriété de l’autre sauvera t-il Moncaut ? Pas sûr. Il est plus probable que ce qui enterre définitivement le projet de carrière ce soit la lherzolite elle-même. D’après Bernard Ilig, membre de l’association, la lherzolite présente ici est un mélange d’olivine et d’antigorite : « L’antigorite est une fibre d’amiante. Exploiter la lherzolite à Moncaut reviendrait à libérer des fibres d’amiante capables de pénétrer dans les voies respiratoires et les poumons. C’est le même cas de figure qui a permis de stopper le projet de carrière dans la forêt de Bugangue en vallée d’Aspe »
Vaches maigres pour le pastoralisme
Au milieu des 2 500 ha de forêts, principalement du hêtre, se trouvent quelques prairies qui justifient toujours une activité d’élevage. Jean-Louis Birou est membre du groupement pastoral de Bruges. Pour lui le risque de voir le pastoralisme rayé de la carte est bien là. A dire vrai, le projet de carrière serait l’ultime coup de boutoir. Les années 2000 au cours desquelles on dénombrait encore 1000 brebis, une cinquantaine de chevaux et quelques 250 vaches dans le cirque semblent très loin. L’arrivée de l’ours Néré, puis la présence du loup ont contraint les éleveurs à maintenir les brebis à la ferme. « On n’a pas réussi à protéger les troupeaux. Même les bergers les plus militants pour la réintroduction ont jeté l’éponge. Aujourd’hui, il n’y a plus de brebis dans le cirque. Les seuls ovins encore présents sont élevés hors sol avec de la paille d’Espagne et du soja du Brésil. A Moncaut, il reste quelques chevaux et des vaches » raconte désabusé Jean-Louis Birou.
La bonne adresse du coin
Impossible de prendre congés du Moncaut sans s’arrêter à L’Orée du Bois, quartier Pédéhourat. Cette adresse fait partie des tables béarnaises qui ont l’aval des bons mangeurs. Le resto est planqué, il faut l’y savoir, mais les connaisseurs s’en chargent. Le dimanche menu à 33 euros : garbure, assiette charcutière, noix de veau, fromage, dessert (juin 2024). Allez randonner après ça…
Se rendre au milieu du cirque
Le repère c’est justement le restaurant L’Orée du Bois. Il faut passer devant et s’engager sur le chemin Durieu (voie sans issue). On passe devant la pisciculture, on continue. On parvient à une place, avec sur la droite une piste forestière. On peut l’emprunter et se garer plus haut. C’est un bon point de départ pour crapahuter à travers le cirque de Moncaut.