Morlanne, un village qui retient l’âme

Une simple rue et un château de briques rouges, il n’en faut pas davantage à Morlanne pour nous ranger de son côté. L’histoire du village le prouve, il y a dans l’air ce petit quelque chose qui accroche l’âme des artistes et des créateurs. Le premier à flairer le potentiel fut Gaston Fébus (1343-1391), le prince qui rêvait de bâtir un État pyrénéen du Béarn jusqu’à Foix. Le pouvoir d’attraction du village ne s’est jamais démenti depuis.

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Entrons dans le vif du sujet en poussant les portes du château de Morlanne. Le Département a mis le paquet en dépoussiérant l’ancienne scénographie.  On assiste à la mise en valeur de quelques-unes des plus belles pièces de la collection, comme un tableau de Canaletto. La visite guidée est au niveau. Le prince des Pyrénées, Gaston Fébus, n’a rien négligé pour protéger son Béarn des royaumes rivaux d’Aragon, d’Angleterre et de France. Il dressa à ses portes un véritable système défensif dont Morlanne fut un maillon majeur. Dès 1373, la forteresse fonde la renommée du village. Mais d’où provient cette briquette alors que nous sommes dans le Béarn du galet et de la pierre de taille ?

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C’est la signature d’un architecte languedocien Sicard de Lordat, choisi par Fébus. Simple à manier, la briquette permet de bâtir plus vite et plus haut. Et puis elle absorbe mieux les boulets de canon, qui d’ordinaire font exploser la pierre et occasionnent davantage de dégâts.  Au XVe siècle, il n’est plus question de défense mais d’agrément. Le riche aristocrate Odet d’Aydie (1425-1490) s’installe au château pendant que la famille Belluix fait construire une très belle demeure à l’autre bout du village. Morlanne prospère. Puis le château passe entre les mains de plusieurs familles et subit petit à petit les assauts du temps. L’effet Morlanne se reproduit en 1947. Raymond et Hélène Ritter tombent sous le charme du village et achètent le château, alors en très mauvais état. Le couple, féru d’art et d’histoire, va s’employer à le restaurer tout en l’ouvrant aux habitants du village puis au grand public. En 1971, les époux Ritter font don du château et de leur collection d’œuvres d’art d’une qualité exceptionnelle au Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques. Le Département s’attelle cet hiver au chantier de la toiture pour un montant de 500 000 euros.

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Un petit marché à la maison Belluix

Plus près de nous, un autre Béarnais avec du tempérament a remis Morlanne sur la carte des places to be. C’est le chef David Ducassou qui avec son restaurant Cap e Tot a fait les beaux jours de la bistronomie béarnaise à Morlanne. Malheureusement l’aventure s’est terminée en septembre 2021 laissant un grand vide derrière elle. Mais on aurait tort d’oublier le village pour autant. Pourquoi ne pas s’y rendre en semaine, le jeudi par exemple. Ce jour-là, l’association Morlanne sur la place organise son marché hebdomadaire. Un marché de l’après-midi. Sur les étals, fromages de chèvre, pains artisanaux, légumes, charcuteries, peuvent même s’échanger avec la monnaie locale la Tinda. Et tous les premiers jeudis du mois, un bénévole allume le four à bois communal invitant les habitants à venir faire cuire leurs pains, tartes, pizzas et autres préparations maisons. Pour le marché et la cuisson, rendez-vous dans la cour de la maison Belluix.

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On trouve dans la rue du château, une des plus belles boutiques déco de la région, Casa Beroya, ouverte il y a 11 ans par Anne Gastineau. Cette ancienne journaliste déco, dont les racines familiales sont à Garos, siège au conseil municipal de Morlanne. « En Béarn on passe parfois son temps à faire l’inventaire de ce que l’on n’a pas alors qu’on a des trésors. Le château de Morlanne en est un. Son potentiel est encore largement sous exploité mais ça va bouger dans les deux ans qui viennent. »

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La Pie René, la bonne adresse qui monte

Pour manger un bout dans la rue menant au château, un lieu charmant, le Lutrin Gourmand. On peut aussi choisir de casser la croûte dans le parc de château sur les tables installées face à la plaine. Un peu plus à l’écart du village, dans la zone artisanale de Poteau de Lannes, au carrefour de la route d’Arthez-de-Béarn, le restaurant La Pie René, se taille une belle réputation depuis son ouverture en 2023. Marion Saint-Martin a créé un lieu à nul autre pareil, sauf à remonter le temps. Dans son restaurant, les tables voisinent avec un grand terrain de boules indoor, un baby-foot, des fléchettes, un coup de poing forain. « Ce projet est un double clin d’œil : à mes grands-pères à qui je veux rendre hommage, prénommés tous deux René, et dont l’un tenait un établissement de ce genre à côté ; et aux Pyrénées à travers un jeu de mots symbolique ». La clientèle suit sans se faire prier. Dans cette zone fertile développée par Sébastien Ducassou, se trouve une autre pépite, l’Épicentre Paysan, incontournable pour remplir son cabas avec les meilleures productions locales.

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Pique-nique *** au bord du Luy de France

Pour un pique-nique aux petits oignons, direction le village de Malaussanne. Au bord du Luy de France, le site dépote. Sous les chênes, sont disposés plusieurs belles tables façon famille Pierrafeu ainsi qu’un barbecue. Il y a même des toilettes sèches et un boulodrome. La cabane au fond est celle du club de tir à l’arc, pas touche. En cas de grosses chaleurs le Luy apporte la fraîcheur nécessaire. Si par mégarde votre casse-dalle est resté sur la table de la cuisine, vous pouvez toujours frapper à la porte de Baptiste Carrère. Sa ferme Les Délices du Luy est à deux pas. L’éleveur de canards produit de savoureuses conserves en vente à la boutique.

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Le site propose de se lancer dans la randonnée des Trois clochers qui suit le cours de la rivière. C’est très agréable tout au long du Luy mais l’entretien du sentier devient aléatoire dès qu’il s’agit de traverser les champs de maïs. Il faudra peut-être rebrousser chemin. Toujours à Malaussanne, ne pas manquer l’ancienne ferme Couloumère. C’est un rare exemple encore debout d’une architecture traditionnelle avec un premier niveau en galet, un second en pan de bois rempli de briques et le troisième niveau constitué de torchis. Un four à pain est encastré dans le mur latéral gauche.

Enclaves viticoles au pays du maïs roi

Dans le village voisin de Cabidos s’élève une petite église romane du XIIe siècle. Elle renferme des stèles funéraires discoïdales du XIXe siècle et offre un beau point de vue sur les coteaux. Le village se distingue par deux enclaves viticoles. D’une part, le château de Cabidos. L’épicentre de l’ancienne baronnie de Trubessé est un manoir du XVe siècle posé à flanc de colline. Son charme a séduit le promoteur immobilier basque Robert Alday et son épouse Peggy qui ont racheté le domaine en 2015. Les neuf hectares du château enchaînent les récompenses prestigieuses et donnent le sourire à la chef des cultures et du chai Méo Sakorn-Series.

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D’autre part, le domaine Osez l’Escudé. Laurent Caubet travaille les cépages locaux comme le tanat, le petit manseng sec ou encore le très aromatique raffiat de Moncade. Cela donne des vins fruités, ajustés aux goûts de l’époque. Le coup de génie ? Des étiquettes inspirées de l’univers des pin-up des années cinquante qui marquent les esprits. Dans la catégorie des adresses à connaître, se glisse également l’épicerie-restaurant Aux Hirondelles tenue par Laetitia Lailheugue à Piets-Plasence-Moustrou. On est ici dans l’ancien restaurant Lailheugue. Laetitia y propose une grande variété de produits secs conditionnés en bocaux ainsi que des temps de rencontre autour de l’alimentation, du yoga, des soirées jeux et une petite restauration le midi sur réservation. L’endroit est très soigné.

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À Garos les femmes font la vaisselle

Une exception béarnaise est à découvrir dans la commune voisine. À Garos, un petit musée retrace l’histoire des potières du village qui du XIIIe siècle jusque dans les années 1940 ont fabriqué de la vaisselle écoulée dans toute la région et même au Canada. Pourquoi est-ce un cas de figure rare ? Au cours de l’histoire, la plupart des centres potiers en Europe ont été l’apanage des hommes, or à Garos et à Bouillon les recherches ont démontré que ce sont principalement les femmes qui fabriquaient les pots dont le fameux toupî que l’on aperçoit parfois dans les vide-greniers et brocantes de la région.

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Paroles d’habitants

Anne Gastineau vit à Morlanne où elle tient la boutique Casa Baroya dans la rue du château. Elle fait partie de conseil municipal du village.

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Vos racines sont ici ?
Je suis Béarnaise par ma mère qui est de Garos. Je revenais tous les étés en Béarn avant de m’installer pour de bon à Morlanne il y a 12 ans. Avant cela je vivais à Paris où j’étais rédactrice en chef pour le Journal de la maison, Mon jardin et ma maison et pour Campagne décoration. Des lieux tendance commençaient à pointer un peu partout en dehors des capitales, dans le Vaucluse avec la Maison Pernoise, en Charente Maritime ou plus près d’ici en Chalosse, à Mugron, avec Rouge Garence. L’idée a germé de transformer la grange en concept store. Casa Beroya a ouvert il y a 7 ans.

Que vous inspire le village de Morlanne ?
J’y vois un concentré de ce qu’est le Béarn. C’est paisible et très vivant à la fois. Les quartiers sont habités, l’école tourne et il n’y a pas de maisons restées vides. C’est un rêve de village mais qui mérite d’être davantage valorisé sur le plan touristique. On passe parfois son temps à faire l’inventaire de ce que l’on n’a pas alors qu’on a des trésors. On a eu David Ducassou qui a réussi à faire ce que personne ne croyait possible alors je me dis qu’à Morlanne rien n’est impossible. Si on prend le château qui est notre locomotive, nous sommes largement en dessous du potentiel du site en termes de visites. Avec l’équipe municipale, celle du château, la communauté de communes, le Département et un cabinet d’études nous planchons sur un vaste projet d’attractivité qui devrait aboutir à l’horizon 2026.

A qui s’adresse Casa Beroya ?
Je propose une sélection très personnelle d’articles de décoration moyen, haut de gamme mais je ne veux surtout pas du snobisme qui va souvent de pair avec l’univers de la déco. On peut également venir flâner, boire un verre, écouter un spectacle ou suivre une expo. Au départ, je pensais avoir une clientèle plutôt touristique mais en réalité les gens d’ici m’ont repérée assez rapidement et sont venus de Pau, d’Orthez, de Nay, de Salies, mais aussi de Saint-Sever ou encore d’Aire-sur-l’Adour. Ce qui me fait plaisir c’est aussi d’ouvrir les portes d’une maison morlannaise. Morlanne est un très joli confetti. Les personnes qui viennent et reviennent sont sous le charme.

D’où viennent les objets que vous proposez ?
Je travaille avec des créateurs français et étrangers. Pas vraiment du circuit court, ce n’est pas très écologique, ça me questionne, mais je vais chercher l’artisanat là où il est pertinent. Mon enfance à Madagascar ça compte dans ma sélection. De même que pour le block print c’est l’Inde et ce n’est pas ailleurs. Je peux aussi faire appel à des créateurs espagnols avec leur extension naturelle vers le Maghreb.