J’avais envie de rafraîchir mon histoire et de comprendre comment au 16ème siècle le protestantisme a tiré le Béarn de sa torpeur intellectuelle. En route vers le Musée Jeanne d’Albret à Orthez.
On l’a un peu oublié mais au 16ème siècle, le Béarn et Orthez en particulier, ont été le foyer d’une puissante émancipation intellectuelle à la faveur du protestantisme. Le Musée Jeanne d’Albret nous le rappelle. Il porte le nom de la mère d’Henri IV, femme de pouvoir qui installa dans son royaume du Béarn la religion protestante et permit à l’éducation de faire un bond en avant sans précédent. À cette époque, le Béarn forme un royaume indépendant avec à sa tête Jeanne d’Albret (1528-1572), une souveraine érudite tout comme l’était sa mère Marguerite d’Angoulême, la sœur de François 1er.
Au tout début du 16ème siècle, le protestantisme bouleverse l’Église et une grande partie de la société française. Le vent d’émancipation qui souffle sur l’Europe séduit Jeanne d’Albret.
Les campagnes lisent
L’idée maîtresse est la suivante : avec l’accès à la lecture du plus grand nombre, chacun doit pouvoir se faire sa propre idée des textes religieux. Le premier étage du musée revient sur la naissance du protestantisme et atteste du formidable effort de la souveraine pour développer l’éducation dans les campagnes. Pour la première fois, des bibles sont traduites en français, en béarnais et en basque. Les écoles se multiplient, l’accès au savoir se répand et conséquence, les populations rurales du Béarn adhèrent au culte protestant. Jeanne d’Albert installe aussi à Orthez une académie qui deviendra rapidement université d’Orthez-Lescar (1564-1620). Elle a pour vocation de former les élites du royaume.
Traversée du désert
Au siècle suivant, le rétablissement du catholicisme et l’absolutisme royal de Louis XIV poussent les protestants dans la clandestinité. 200 000 d’entre eux quittent la France, souvent des familles de commerçants et d’artisans que les pays voisins accueillent à bras ouverts. Les protestants restés en France nomment cette période le désert en référence aux lieux de cultes clandestins (bois, rase campagne) éloignés de l’agitation. Dans une des vitrines du musée, un calice démontable symbolise cette religion vécue sous le manteau. Chaque partie du calice était détenue par une famille différente. Il était remonté lors d’une « assemblée au désert », c’est ainsi que l’on désignait le culte célébré clandestinement. À côté d’un miroir huguenot à double fond où l’on dissimulait une bible protestante, le Musée Jeanne d’Albret présente aussi des bibles miniaturisées. Quand les assemblées au désert étaient découvertes c’est le bagne qui attendait les hommes et la pendaison le pasteur. Le musée conserve ainsi des lettres de Béarnais qui s’adressent au roi pour lui signifier que leur culte n’est en rien tourné vers sa personne. Mais il faudra attendre la révolution pour que le protestantisme retrouve droit de cité.
Femmes savantes
Par la présence du mobilier issu du temple de Cauterets, le Musée Jeanne d’Albret rappelle les liens entre le protestantisme en Béarn et l’éclosion du thermalisme au 19ème siècle. La forte communauté anglo-saxonne a certes été séduite par le climat pyrénéen, mais le Béarn, marqué du sceau protestant a aussi fortement contribué à l’établissement de ces familles. Le Musée Jeanne d’Albret s’arrête enfin sur l’éminente famille Reclus. Bien que non religieuse cette famille établie à Orthez au 19ème symbolise aussi l’émancipation par le savoir. À Orthez, Zéline Reclus ouvrit une école de femme qui marqua des générations. Le musée orthésien souligne ainsi le rôle de ces femmes qui au 16ème siècle puis au 19ème siècle ont œuvré pour l’éducation de tous.
Le musée propose un copieux programme d’animation pour l’été et il sort aux beaux jours son salon de jardin au profit des visiteurs.
Musée Jeanne d’Albret, 37 Rue Bourg-Vieux – 64300 Orthez